Critique : Atroz (2015) (Lex Ortega)
« Il y en a qui écrivent pour rechercher les applaudissements humains, au moyen de nobles qualités du cœur que l’imagination invente ou qu’ils peuvent avoir. Moi, je fais servir mon génie à peindre les délices de la cruauté ! »
Lautréamont, Les Chants de Maldoror
Aujourd’hui on va parler du prix du public au dernier Sadique-Master festival, Atroz de Lex Ortega. Un film dont j’avais déjà eu connaissance par les divers avis que j’avais pu lire. Bien que ces derniers soient assez hétérogènes quant à la qualité du métrage, tous semblaient d’accord sur son caractère violent et extrême. On comprend mieux alors la disparité des avis. C’est le propre de « l’extrême » de polariser (pour ne pas dire extrémiser) les avis. Pour certains l’ultra-violence fait office de cache-misère, sorte d’excroissance malhabile venant détourner le regard d’une vacuité supposée ; pour d’autres, elle constitue le socle d’une expérience viscérale purement cinématographique (ici la violence révèle, elle ne cache pas). Le début d’Atroz nous éclaire sans ambiguïtés quant à la démarche de Lex Ortega. On assiste à une séquence présentant Mexico de manière très crue. Criminalité et misère sociale servent à introduire la barbarie qui sera celle du film. La violence s’inscrit donc dans un contexte social particulier.
A la suite de cette séquence introductive, on peut voir des des flics qui, après un accident de voiture, tombent sur des cassettes au contenu pour le moins suspects. Le métrage se sépare entre les séquences « normales » où l’on voit les policiers enquêter et les séquences « rapportées » (en gros du found footage), centrées sur des meurtres, tortures, humiliations, et autres choses du même acabit. Bien qu’on puisse croire, de prime abord, à une polarisation assez nette dans la narration entre les meurtres sur cassettes et le reste ; on se rend compte assez vite qu’il n’y a pas de partition stricte d’un point de vue morale. Nous n’avons pas d’un côté les gentils policiers et de l’autre les vilains tueurs (qu’on voit principalement par l’entremise des cassettes). On nous montre assez vite des policiers aux méthodes brutales, plus portés sur la loi du talion que par un respect inconditionnel des lois. Le contexte social évoqué précédemment est donc celui d’une société à la violence globalisée. On comprend facilement la logique de dénonciation qu’il y a derrière le film. Se pose alors une question : voir un humain gisant dans ses excréments se faire torturer permet-il de bien faire passer un « message » ? Chacun ira de sa réflexion, reste que la question est, en réalité, mal posée. Lex Ortega a choisi une approche frontale, il n’entend pas « dire » quelque chose au spectateur. Il lui balance en pleine tronche une réalité factuelle sans verser dans le pathos. Car même si Atroz se déroule dans un contexte précis et bien identifié, le regard porté sur ce dernier sait rester à bonne distance. Sur le plan technique, Atroz s’en sort, d’ailleurs, incroyablement bien eu égard à son maigre budget (d’autant plus que je peux pas blairer le found footage d’habitude !). Cette caméra embarquée qui nous fait d’abord découvrir les tueurs, deviendra par la suite le témoin d’évènements se déroulant dans un cadre familial à différentes époques ; on n’échappe pas, évidemment, à la dynamique propre au found footage (cadre approximatif, caméra peu stable, etc.) sans pour autant tomber dans l’excès ou dans la surenchère. Dans son ensemble, le métrage brille par son efficacité formelle ; bien qu’on puisse trouver à redire sur certains points, on ne peut que saluer la rigueur de sa fabrication. Notons également que, contrairement à une majorité de production du même acabit, les acteurs ne participent pas au championnat du monde du cabotinage en milieu rural. Mais, car il y a toujours un mais, on pourrait ressortir une maladresse. La fin se permet d’expliciter un peu grossièrement dans ses dialogues, quelque chose déjà sous-tendu par le déroulement de l’histoire. Je reste vague afin de laisser aux spectateurs un peu de surprise quant à la structure narrative et à son contenu. Au final l’idée germinale d’Atroz parait assez simple : dresser un parallèle entre l’état d’une société et celui d’individus définis par leurs rapports sociaux et/ou familiaux. L’intime et le public se rejoigne par l’horreur total de leur condition. Une idée simple mais jamais simpliste dans son traitement. Le film ne constitue pas un simple déballage de violence, il nous raconte quelque chose de manière viscérale (et peut être trop extrême pour certains).
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