Critique : Men behind the sun, Philosophy of a knife: deux visions de l’horreur.
Avant de commencer cette critique comparative, un rappel historique quant au sujet traité par les deux films s »impose, à savoir l’Unité 731.
Créée en 1925 dans le but très louable d’études scientifiques sur la purification d’eau, l’Unité 731 – dirigée par le Lieutenant-Général nippon Shiro Ishii (microbiologiste de son état) et son équipe – est délocalisée en 1931 dans une petite bourgade du nord-est de la Chine dans l’état fraîchement envahit par japonais, de Mandchourie. Ce lieu sera le théâtre de déportations de criminels et autres opposants au régime essentiellement chinois et ce jusqu’au mois d’août 1945. Vers la fin des années 30, de nombreux soldats américains, australiens et russes y furent incarcérés et devinrent les victimes d’atroces expériences orchestrées par Ishii et ses hommes, ayant comme desseins inavoués l’avancement militaire en matière d’armement bactériologique. Peu avant l’arrivée des troupes russes en Mandchourie, ordre est donné par les autorités japonaises – soit au mois d’août 1945 – d’effacer toutes les preuves et de supprimer par la même occasion tous les prisonniers. Il fallut attendre la fin des années 80 pour que ces opérations secrètes -ordonnées par l’Empereur Hirohito en personne – soient révélées au grand publique. Les responsables politiques américains, dans le climat de tension qui régnait avec les soviétiques en cette époque d’après-guerre préférèrent amnistier les responsables de ces crimes de guerre en échange d’informations concernant leurs recherches.
Il est à noter que, les victimes de ces expériences horribles sont évaluées à des plusieurs milliers, sans qu’aucun chiffre précis n’aie jamais été fourni. Cependant, les sujets – appelés par leurs bourreaux « Maruta », ce qui signifie « bûche de bois » – étaient rarement épargnés. Les expériences consistent, entre autres à des dissections pratiquées sur des sujets vivants, la congélation des membres, des transfusions de sang d’animaux, l’administration de virus comme la peste ou la syphilis, ainsi que des expositions à des radiations extrêmes… Les plus chanceux des rescapés étaient fusillés, les « marutas » ayant survécu faisaient l’objet d’expérimentations plus poussées et plus cruelles encore. Les exactions commises par Ishii et son équipe ont souvent été comparées aux « expérimentations » menées par le Docteur Mengele dans les camps de la mort allemands. Précisons également que les informations sont souvent contradictoires, et que lors de ma recherche de documentation sur le sujet, j’ai pu me rendre compte que la vérité historique était souvent hasardeuse, c’est ainsi que certaines dates peuvent parfois être antinomiques, je me suis contenté de me servir de celles qui venaient des sources les plus sérieuses après les avoir synthétisées.
C’est de cet épisode tragique de l’histoire de l’humanité, dont traitent les deux œuvres qui font l’objet de cette chronique, à savoir « Men behind the sun », film chinois réalisé par Tun-Fei Mou en 1988 et « Philosophy of a knife », réalisation russe d’Andrey Iskanov en 2007.
Men Behind the sun
Intéressons nous d’abord à la date de création du métrage et au pays d’où il nous vient. Comme je l’expliquais plus haut, ces évènements sordides ont été cachés à l’opinion publique pendant plus de quarante ans, et ce n’est qu’au milieu des années 80 que les charniers – vestiges de l’unité 731 – ont été découverts par des ouvriers chinois. Plusieurs témoignages affluèrent à l’époque et les gouvernements des différents pays impliqués dans cette mise sous silence volontaire, ne purent que confirmer cette réalité historique. Les langues se délièrent et des témoins toujours en vie expliquèrent clairement ce qui s’était passé dans cette fameuse Unité japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Sachant que le pourcentage de déportés chinois avait été particulièrement élevé, nombreuses furent les voix qui s’élevèrent à ce sujet, c’est ainsi que naquît le projet d’un long métrage traitant de cette thématique.
Doté d’une atmosphère glaciale tout comme les hivers Mandchourien peuvent apparemment l’être – la Mandchourie étant un état du nord-est de la Chine, frontalier avec l’ancienne URSS – Men behind the sun se pose dès ses premières images comme un pur film d’exploitation. Certaines scènes frisent quasi la propagande sous le couvert de justifications dénonciatrices, mais sombrent par moment dans un voyeurisme presque obscène. J’en prends pour exemple le nombre de séquences inutiles ou nous assistons à l’endoctrinement des jeunes soldats japonais qui semblent beaucoup trop excessives pour être innocentes. Le réalisateur paraît être intimement convaincu que le Japon incarne toujours le mal absolu, chavirant de la sorte dans un excès de confiance jubilatoire qui terni considérablement la crédibilité du message initial.
La raison première pour laquelle l’œuvre d’Iskanov se distingue intensément de celle de Mou, est dans la vision totalement différente que les deux réalisateurs ont de l’Histoire et la manière bien plus objective qu’à le russe de présenter des évènements pourtant identiques. En outre, les deux oeuvres font preuve d’un détachement quasi abject quant aux faits historiques relatés, il n’y a aucun second degré, mais cela eût-il été nécessaire? Men behind the sun possède bien évidemment d’autres qualités comme une excellente photographie, un jeu d’acteurs parfois pertinent et des effets spéciaux très réussis et sanguinolents à souhait . Notons que le doublage anglais est particulièrement déplorable, donc je conseillerais de le visionner en version originale chinoise sous-titrée anglais (et oui il n’existe pas à ma connaissance de sous-titres français) tout en rappelant que les deux œuvres sont extrêmement dures et par conséquent, ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Particularité importante, le film de Mou a été financé par la république populaire de Chine, c’est plus que probablement pour cette raison qu’il fait preuve d’une morale anti-nippone si flagrante; j’en veux pour preuve la scène (parmi tant d’autres) ou la caméra s’attarde sur un drapeau nippon souillé de sang qui relève d’une niaiserie symbolique et revancharde sans nom.
Des informations obtenues sur le net, mais dont je n’ai pu vérifier la véracité avec certitude, les mises à mort d’animaux auraient été réelles, ce qui au vu de leur réalisme me semble tout à fait crédible; Si un lecteur possédait des informations avérées à ce sujet je serais ravi de les obtenir. D’autre part, je me permets d’ouvrir une petite parenthèse quant au film « Hostel » d’Eli Roth, car j’ai trouvé une similitude flagrante entre les deux scènes ou l’individu au chariot découpe les cadavres pour les jeter dans le four; léger plagiat de la part de ce cher Eli? Fin de la parenthèse.
En conclusion, je considère ce métrage comme un pur film d’exploitation, se perdant tantôt dans les méandres douteux d’une propagande à peine masquée, tantôt dans une justification assez floue clabaudant sans aucun second degré des messages aussi dangereux que ceux qu’il est censé défendre.
Ma note: 5/10
Philosophy of a knife
S’aventurant sur un tout autre terrain, de manière beaucoup plus galvaudée que Men behind the sun, le film d’Iskanov est construit de manière bien différente, loin des classiques du cinéma d’exploitation il intrigue déjà par sa longueur (249 min). Le métrage commence par un long et splendide générique accompagné d’une musique expérimentale dont j’ai raffolé. Le réalisateur russe impose, quant à lui un regard beaucoup plus neutre sur le sujet, insérant dans son film des interviews de témoins et des documents d’époque apportant un côté encore plus « sérieux » à ce dernier. Iskanov se permettra même de suggérer une mince idylle entre une « maruta » et un jeune soldat japonais. L’ambition de l’œuvre reste dénonciatrice, tout comme Men behind the sun, mais sans pour autant sombrer dans des revendications chignardes. Il fallait oser mettre en scène semblable boucherie sans s’abandonner à des élans civiques pour autant. POAK montre la barbarie de manière très crue, argumente, ose montrer l’abominable dans ses détails les plus sauvages, immersion totale dans la brutalité: accrochez vos ceintures, vous ne vous en remettrez probablement pas.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, ce film est considéré comme l’un des plus abominable et insoutenable jamais réalisé, je partage cet avis tant la sensation de dégoût m’envahit à chaque fois que je le regarde. Filmé dans un magnifique noir et blanc granuleux volontairement surexposé afin d’en confondre les plans avec ceux d’époque, parsemé d’entrevues en couleur (dont le témoignage poignant d’un médecin russe, traducteur juré lors du procès des quelques inculpés, capturés par les troupes soviétiques) ainsi que de documentaires vestiges de cette époque. POAK est également avantagé par une bande son et une musique particulièrement attrayantes et réalistes. Les faits nous sont narrés par deux voix off: un homme et une femme regrettant amèrement d’avoir été infirmière dans le camp 731. Les innombrables tortures auxquelles nous assistons sans interruption pendant 4 heures, sont encore accentuées par des effets visuels type « accélérés » et des bruitages vomitifs leur apportant une dimension plus crédible encore.
Le rapprochement avec « Salo ou les 120 journées de Sodome » est également à envisager, car POAK s’intéresse de manière très pertinente aux relations bourreaux-victimes, en leur apportant une logique « scientifique » à instar de l’œuvre de Pasolini ou ceux-ci exercent leur domination pour satisfaire leurs seuls plaisirs pervers.
Le jeu des acteurs est quasi irréprochable, loin d’un « surjeu » racoleur, travers dans lequel aurait été très facile de sombrer eût égard à la gravité du sujet. Ces comédiens semblent littéralement vivre leur rôle, échangeant tour-à-tours des regards complices, même lors des situations les plus horribles: « Marutas » et bourreaux semblent se rejoindre, tant les uns comme les autres réalisent le drame qu’ils vivent et duquel ils ne peuvent s’extirper. Le seul point négatif à ce sujet – et qui est peut-être voulu par le réalisateur- réside dans le fait que les victimes réagissent de manière pour ainsi dire apathique aux sévices qu’elles s’apprêtent à vivre, à l’encontre de tout instinct naturel de survie. Il est par ailleurs impossible de citer toutes les abominations d’intérêt pseudo-scientifique dont les « marutas » feront l’objet pendant 4 heures. Cependant, le point précis dans lequel d’Iskanov excelle, réside justement dans sa neutralité politique, s’attachant de manière brillante à donner au spectateur la possibilité de voir l’horreur vécue dans les deux camps, alors que la version chinoise sombre quant à elle, dans une symbolique caricaturale et outrancière.
Vous l’aurez compris, entre ces deux œuvres – qui traitent pourtant du même sujet – mon choix est sans équivoque, d’une part un simple film d’exploitation qui sous le couvert d’un sujet grave cache un message tendancieux et de l’autre une réalisation aboutie, profonde, assumée et bouleversant les dogmes sans pour autant s’y conformer radicalement. Je dirai donc pour conclure China-Russia: 0-1 en m’inclinant irrévérencieusement, sans toutefois préciser de quel côté.
Ma note: 8/10.
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